de Benjamin Décosterd, (initialement) pour se lever à 8h20

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Les Beaux Parleurs – 5 avril

Le confinement lié au coronavirus dure maintenant depuis 3 semaines. Et ça commence à être un peu long :

Semaine 3

Le plus dérangeant n’est pas l’ennui.
Le plus dérangeant n’est pas de lire les PLR prendre l’État pour un plan cul que l’on peut rappeler quand ça va mal.
Le plus dérangeant n’est pas l’impression d’avoir adopté une brebis depuis la fondue d’hier soir.
Le plus dérangeant n’est pas d’avoir oublié d’applaudir deux jours de suite (désolé au personnel soignant et à Yann Marguet).
Le plus dérangeant n’est pas de se demander si ce serait pas complètement con de faire croire qu’on illumine le Cervin avec UN LASER EXTRATERRESTRE :

Le plus dérangeant n’est pas non plus que ce soit assez naze en vrai :

Le plus dérangeant n’est pas de voir les réseaux se déchirer pour savoir si la Chloroquine est un remède miracle, également capable de trouver une solution pour le climat et de rendre une conférence de presse de la Confédération intéressante.
Le plus dérangeant n’est finalement pas le fait que mes voisins aient trouvé un nouveau hobby : écouter de la musique de merde en déplaçant des meubles.

Non, ce qui devient pénible, c’est de ne plus sentir le pouls de la société. Derrière ce poncif journalistique, se cache pourtant un réel besoin : savoir dequoicommentqu’est-cequ’ilyaetvous,vousallezbien, sinon ?
Je ne parle pas ici que des proches que l’on sonde à coup de Skypéros (mon dieu, cette expression me donne envie de mourir. En plus, pourquoi boire devant un écran s’il n’y a pas Netflix ou du foot dedans ?) mais bien de la masse. Difficile de savoir pour quoi le cœur des gens bat quand la seule chose qui nous relie à eux, ce sont des médias en pleine tachycardie.

C’est peut-être un simple besoin de ma dose régulière de bar ou de restaurant. Ou alors, je m’inquiète de savoir quoi écrire de pertinent pour Les Beaux Parleurs dimanche. Ou, finalement, le signe que la vie et l’avis des autres ne m’indiffèrent pas tant que cela. Mais de vraies questions demeurent :

Est-ce que les enfants pénibles sont toujours en vie ? Est-ce que les plus de 65 ans supportent qu’on leur parle comme s’ils en avaient 60 de moins ? Est-ce que vous, qui lisez ce texte, vous avez mis un pantalon ? Est-ce que VRAIMENT IL Y A ENCORE DES MEUBLES À BOUGER LÀ-HAUT, LOUIS LA BROCANTE ?!

Bref, courage à toutes et à tous. Aérez bien après la fondue.

Il faut bien vivre de quelque chose

Voilà ce que j’ai envie de répondre à toutes celles et ceux qui se baladent encore dehors, l’individualisme crasse et la naïveté fière, répétant – dès qu’ils le peuvent – « qu’il faut bien mourir de quelque chose ».

Il faut bien vivre de quelque chose. Nous l’apprenons à nos dépends. Que ce soit de divertissement facile (Netflix, Smartphone, Playstation, chasselas), ou d’activités moins accessibles en apparence (lire, cuisiner, méditer, faire du sport à la maison mais sans le montrer sur Instagram).

Cette situation n’est facile pour personne :

Il y a celles et ceux qui sont « au front » et que nous applaudissons chaque soir à 21h. Ceux dont la précarité pouvait faire rire (dans les magasins, les entrepôts ou les rédactions), ou dont les privilèges pouvaient faire grincer (dans les cabinets médicaux ou les parlements). Ils et elles sont nos béquilles, en faisant que ça marche aujourd’hui, tout en sachant qu’on risque de les oublier demain.

Il y a ceux dont le front renferme des décisions difficiles à prendre (Daniel Koch, Alain Berset). Leur front qui est devenu interminable, à force de devoir faire des choix qui font réagir tout le monde, mais qui ne semblent plaire à personne.
Pas qu’ils n’aient pas de soutien, non, mais de nos jours les plaintes sont plus bruyantes que l’approbation.

Et puis, il y a les autres. Le reste. Toutes celles et ceux qui doivent encore accepter d’être « non-essentiels ». La survalorisation (sociale ou salariale) de certains métiers rend la chose encore plus compliquée à admettre.

Je le sais, puisque je fais partie de cette catégorie.

Un jour, on a des responsabilité, un emploi du temps et du pognon. Et le lendemain, on devient la marge. Alors pour ne pas y penser, on gesticule, on écrit, on filme, on « story » ou on « live ». C’est humain et compréhensible, mais c’est aussi un peu nul. Être débordé était un symbole de réussite professionnelle. Avoir le temps de réfléchir à sa propre inutilité rend les angoisses très existentielles.

On dit qu’on le fait « pour les autres », pour relayer la bonne parole, pour faire réagir nos autorités ou pour amuser. Mais on le fait surtout pour nous. L’humain occidental peut survivre quelques mois sans culture. Pas sûr que ce soit le cas de son ego.

Je le sais, puisque je suis en train d’écrire cet article.

La création de contenu sur les réseaux sociaux a été pensée comme un moyen de combler une faille narcissique. En confinement, la faille devient une falaise. Et le contenu nous empêche d’y sombrer définitivement.

L’idée n’est pas forcément de se taire, ni de se terrer dans la culture existante (quoiqu’écouter l’intégrale de Brel vaut peut-être mieux que de voir un live d’influenceur). Mais simplement de tourner quelques fois son pouce autour de son Smartphone avant de poster quelque chose.

Pas trop non plus.
Parce qu’il y a – dans nos appels au secours 2.0 – des choses magnifiques, drôles, touchantes.
Aussi parce que je risque de continuer à écrire / filmer / photographier des chose ces prochains jours.
Et encore parce qu’au début de cet article, je détestais l’humanité. Maintenant, je l’aime bien.

Bref, nous sommes humains et un peu nuls. Mais c’est aussi cela qui nous rend très attachants.

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