de Benjamin Décosterd, (initialement) pour se lever à 8h20

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Les Beaux Parleurs – 17 mai

Le couple en confinement : entre charge mentale, Alain « Tinder » Berset et des voisins heureux en ménage.

Des lendemains difficiles

Les médias parlent de l’après, alors que nous nous projetons déjà dans un dilemme estival: se faire chier à la maison ou dans le canton d’Uri. Mais avant d’imaginer une sortie de crise aussi facile qu’un free hug, il faut briser un tabou:

Hier, nous avons reçu des gens.

Un silence pesant s’installe. Je vois défiler des commentaires de haine dans mon cerveau. Puis, quelques messages privés, sous forme de confession: « Moi aussi j’ai vu des gens. Je suis allé courir l’autre jour et j’ai commandé des chaussettes sur Zalando, mais je vote toujours à gauche. Enfin socialiste. »

Sur l’échelle du socialement acceptable, il est difficile de situer le repas entre quatre adultes consentants, par rapport à un week-end Easyjet, au port d’une chemise à manches courtes, ou à une partie de Twister avec Harvey Weinstein.

Mais il fallait que ça sorte, tant personne n’en parle. Moi-même, depuis six semaines, je ne sais pas comment à réagir aux stories où des gens boivent ensemble, autrement que par écrans interposés. Faut-il appeler la hotline de l’OFSP, haranguer Alain Berset sur Instagram entre deux mèmes, ou simplement – pour compenser cette « inconscience » – enchérir sur AlorsOnDonne, pour un repas avec Mirko Rochat après son nouveau spectacle ? Décidément, il n’y a pas de bonne solution.

A défaut de s’être rués chez Hornbach lundi, nous avons fait le choix discret de nous rebricoler un semblant de vie sociale. Égoïstement, il fallait le satisfaire, ce manque de soirées.
Cette envie de gorgées de vin qui n’étanchent pas de soif mais qu’on boit comme si l’on était en plein désert, ou à Noël. Ce vin qu’on boit dans un verre et avec une serviette, pour éponger sa bouche ensuite.
Ce vin qui n’accompagne pas le repas, mais qui le fait descendre. Du PINARD, avec des POTES ! Des potes avec qui tu peux t’engueuler sur les baisses de salaires de l’USAM en vrai, puisqu’après, ils vont rentrer chez eux. Alors que le confinement total – lui – appelle au consensus, pour la survie du ménage.

Un ménage qu’on devra faire le lendemain, après la vaisselle : des verres troubles et collants ; des poêles grasses et sanglantes. Parce qu’évidemment, c’est un repas avec de la viande. Tacitement – conscients d’être dans une zone grise – nous avons décidé de ranger nos portables et notre bonne conscience de bobos.
Pierre Rhabi ? Non, Gérard Depardieu. Parce que oui, on a attaqué les digestifs alors qu’on avait déjà digéré.

Bien sûr, je romance. Je voudrais bien vous faire croire que nous avons recréé une sorte de salon littéraire pour deviser sur l’avenir du monde et l’effondrement d’une société sclérosée par l’argent.
J’adorerais vous raconter que nous avons dit des trucs comme « les artistes devront assumer leur rôle de corps médical de nos âmes. »

Mais non. On a dit « qui a le 7 de carreau ? »
Parce que oui, on a joué à des jeux. Gérard Depardieu ? Non, Simonetta Sommaruga.


Bien que romancée, cette soirée a débouché sur un réveil compliqué. Mais au fond, c’est peut-être pour le mieux. Comme une préparation pour l’avenir : que ce soit à Uri ou dans les fiches de salaire, de nombreux lendemains difficiles nous attendent.

La pizza existentielle

J’ai mon rendez-vous chez le coiffeur, personne n’a envie d’aller à l’école, et j’ai mis un jeans. Bref, la vie semble repointer le bout de son nez (drapé de FFP2), mais suis-je le seul à trouver qu’il y a des ajustements à faire ? Je veux dire… On va pas éternellement faire des produits dérivés des phrases prononcées par les membres du Conseil Fédéral. Ou bien ?

Je vais pas non plus éternellement, comme tout à l’heure, ÊTRE CONTENT DE FAIRE DE LA PÂTE À PIZZA ! Il y a deux semaines, je soupirais en voyant les gens faire leur pain, et là je m’extasie de ma pâte à pizza. Et la pâte à pizza, qu’est-ce que c’est d’autre que de la pâte à pain qui a un but dans la vie ?

PARCE QU’AU BOUT D’UN MOMENT, il faut que je me le rappelle à moi-même : LA PIZZA ÇA SE FAIT DANS UN RESTAURANT, MERDE ! Il y a un serveur en chemise blanche qui a l’air pressé et pas sympa, jusqu’à ce qu’il vienne à ta table pour te chanter « Chianti, Montepulciano, Nebbiolo » en réponse à ton « vous avez du vin ouvert ? » monocorde – parce qu’en italien l’important ce n’est pas le vocabulaire, mais la partition. Et oui, pour ceux qui se posent la question : quand je parle de serveur pressé, je parle bien du Milan ou Da Carlo.
En temps normal, on peut aller la chercher et la manger chez soi, la pizza. Parce que c’est dimanche soir et qu’enfiler un jeans demande moins d’effort que de constater que le frigo est aussi vide que son âme en pensant au sens de la vie. Mais là, on a le temps. On va pas faire « rien » au carré.

La pâte à pizza est en train de monter dans la baignoire (ils disaient dans l’endroit le plus humide de l’appartement mais Natalie est au boulot) et moi je suis en pleine descente. Parce que quand tu ne travailles pas, tu te rends compte à quel point c’est bien de ne pas travailler.
C’est pas un oreiller de paresse que j’ai : c’est un plaid de paresse ! Avec un canapé de flemme qui surélève mes jambes, en face d’une télé de fainéantise où dedans il y a « Community » et où on passe automatiquement d’un épisode à l’autre pour moi, sans que j’aie le temps de me poser la question de ma mortalité.

Y a rien qui va pas, et c’est pour ça que ça va pas. C’est possible ça ?
Ce sentiment de trop plein qui accouche d’un vide vertigineux. Ou l’inverse, quand le vide remplit tout. Je sais pas, j’ai l’impression que ce paragraphe pourrait être de Guy Parmelin. Chier.

La paresse : ce n’est pas que je n’aime pas mon travail. Mais c’est bien travailler le problème. Plus qu’un -ler final, c’est toute la notion de contrainte qui pose problème. L’activité en tant que tel, ça va.
J’ai eu la confirmation de cela hier, quand j’ai pensé à une reconversion (rappelez-vous, je suis content de ma pâte à pizza, on est plus à ça près).
En analysant ce que je fais pendant ce confinement, je me suis rendu compte que je pouvais par exemple devenir « critique de séries », mais le problème, c’est qu’au bout d’un moment il faut l’écrire, la critique. Et ça, rien que d’en parler, ça me fait bailler comme la saison 1 de Glow.

Ce n’est pas le travail, c’est travailler, le problème. Et il faudra bien s’y remettre. Mais quand ?

Alors que nos courbes semblent aussi aplaties qu’avec une cure Biotta (au menu : des jus, des graines et une dépression nerveuse), on pense déjà à l’après. Pour quelque chose qui risque de durer 18 mois, on devrait plutôt parler du pendant.

Parce qu’après quoi ? Après, quand c’est « normal » ? Au fond de nous, nous savons que ce sera comme après la première fois qu’on a regardé trop longtemps une robe Desigual : plus rien ne sera jamais pareil.

Mais que ce soit après un mois de confinement ou un premier date, l’Humain a un besoin maladif de se projeter. Par exemple en vacances en Italie. Ou simplement chez Da Carlo.

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