Les médias parlent de l’après, alors que nous nous projetons déjà dans un dilemme estival: se faire chier à la maison ou dans le canton d’Uri. Mais avant d’imaginer une sortie de crise aussi facile qu’un free hug, il faut briser un tabou:
Hier, nous avons reçu des gens.
Un silence pesant s’installe. Je vois défiler des commentaires de haine dans mon cerveau. Puis, quelques messages privés, sous forme de confession: « Moi aussi j’ai vu des gens. Je suis allé courir l’autre jour et j’ai commandé des chaussettes sur Zalando, mais je vote toujours à gauche. Enfin socialiste. »
Sur l’échelle du socialement acceptable, il est difficile de situer le repas entre quatre adultes consentants, par rapport à un week-end Easyjet, au port d’une chemise à manches courtes, ou à une partie de Twister avec Harvey Weinstein.
Mais il fallait que ça sorte, tant personne n’en parle. Moi-même, depuis six semaines, je ne sais pas comment à réagir aux stories où des gens boivent ensemble, autrement que par écrans interposés. Faut-il appeler la hotline de l’OFSP, haranguer Alain Berset sur Instagram entre deux mèmes, ou simplement – pour compenser cette « inconscience » – enchérir sur AlorsOnDonne, pour un repas avec Mirko Rochat après son nouveau spectacle ? Décidément, il n’y a pas de bonne solution.
A défaut de s’être rués chez Hornbach lundi, nous avons fait le choix discret de nous rebricoler un semblant de vie sociale. Égoïstement, il fallait le satisfaire, ce manque de soirées.
Cette envie de gorgées de vin qui n’étanchent pas de soif mais qu’on boit comme si l’on était en plein désert, ou à Noël. Ce vin qu’on boit dans un verre et avec une serviette, pour éponger sa bouche ensuite.
Ce vin qui n’accompagne pas le repas, mais qui le fait descendre. Du PINARD, avec des POTES ! Des potes avec qui tu peux t’engueuler sur les baisses de salaires de l’USAM en vrai, puisqu’après, ils vont rentrer chez eux. Alors que le confinement total – lui – appelle au consensus, pour la survie du ménage.
Un ménage qu’on devra faire le lendemain, après la vaisselle : des verres troubles et collants ; des poêles grasses et sanglantes. Parce qu’évidemment, c’est un repas avec de la viande. Tacitement – conscients d’être dans une zone grise – nous avons décidé de ranger nos portables et notre bonne conscience de bobos.
Pierre Rhabi ? Non, Gérard Depardieu. Parce que oui, on a attaqué les digestifs alors qu’on avait déjà digéré.
Bien sûr, je romance. Je voudrais bien vous faire croire que nous avons recréé une sorte de salon littéraire pour deviser sur l’avenir du monde et l’effondrement d’une société sclérosée par l’argent.
J’adorerais vous raconter que nous avons dit des trucs comme « les artistes devront assumer leur rôle de corps médical de nos âmes. »
Mais non. On a dit « qui a le 7 de carreau ? »
Parce que oui, on a joué à des jeux. Gérard Depardieu ? Non, Simonetta Sommaruga.
Bien que romancée, cette soirée a débouché sur un réveil compliqué. Mais au fond, c’est peut-être pour le mieux. Comme une préparation pour l’avenir : que ce soit à Uri ou dans les fiches de salaire, de nombreux lendemains difficiles nous attendent.
Francine Crettaz
Et bien nous aussi on a vu des gens. Et c’était trop bien!
LaMère