Et on ne sait pas encore.

Bon pour pour la tête, ce n’est pas une expression extrême de la modestie de celui qui partirait de rien. Ce n’est pas non plus un slogan réutilisé en nom de marque. Encore moins l’adresse d’un site internet qui a été pensé pour le référencement naturel (à moins que l’on y trouve du shampooing).

C’est le nouveau média romand né du crowfunding. Indociles et novateurs, ses journalistes sont prêts à braver l’actualité, à s’intéresser aux infos locales, à parler de culture en veux-tu en voilà et à dévorer de l’analyse politique internationale. En tout cas, c’est ce qu’annonce leur vidéo de présentation.

Pour ce faire, quelles armes ont-ils choisies ? Plus ou moins les mêmes que celles qui ont mené à la défaite de l’Hebdo, mais avec une chronologie différente. Un site web d’abord et dans quelques temps une édition papier.

Je sais déjà que la suite de ce post s’avérera aussi compliquée que de marcher sur des œufs en versant la goutte d’eau qui va faire déborder le feu aux poudres. Un peu comme un éléphant dans un magasin de bords du précipice. Parce que je travaille avec des journalistes, mais du côté des communicants (vous savez, les connards de la pub et de Satan). D’autant plus que l’initiative est louable et populaire, avec plus de 200′000 francs récoltés jusqu’ici. Il est donc délicat d’aborder la question sans prendre le risque de froisser des sensibilités, me retrouver au chômage technique ou passer pour le vieux con qui dirait : “de toute manière cela ne marchera pas.”

Surtout que je ne suis pas le plus vieux, dans l’histoire. En effet, même si la voix-off de Positif pour la gueule promet le mélange entre “des professionnels aguerris” et “des jeunes talents”, force est de constater que l’équipe ne carbure pas à l’eau de jouvence (et je ne dis pas ça pour Gian Pozzy).

(Les bébés, ça compte comme jeunes talents ?)

Alors oui, je choisis un plan sur une vidéo de 2 minutes. Par équité, je vous montre celui-ci, qui transpire le dynamisme :

Mais faisons confiance, il y aura certainement d’autres jeunes. Ils étaient simplement occupés à faire des trucs de jeunes, comme par exemple ne PAS se taper de présentations powerpoint.

Si je me permets d’apporter un regard critique sur cette démarche louable, c’est parce que Bénéfique pour la caboche martèle que l’innovation est en marche, sans pour autant expliquer ce qu’il va y avoir de nouveau (ça ne vous rappelle pas quelqu’un ?) :

Alors quoi de neuf ? Je comptais sur la venue de la présidente de Bienfaisant pour le ciboulot dans l’émission 26 Minutes pour apporter quelques précision. Malheureusement, on ne saura rien de plus, à part que le titre sera également bon pour les jambes : entre une info très régionale et un regard international, tout le monde pourra faire le grand écart, à l’époque où seuls les titres de presse spécialisés gagnent des lecteurs.

Toujours à la recherche d’innovation, je suis tombé sur d’autres sources. La Télé a reçu une journaliste de Favorable pour le bocal, avant d’organiser un débat sur l’avenir des médias romands. Et enfin ! J’ai eu mes réponses. C’est novateur et indocile parce que :

  • La manière de lancer le journal est nouvelle
  • Il n’y aura pas de rubriques
  • Il n’y aura pas non plus de hiérarchie (”c’est plutôt à l’interne”)
  • Le sujets “surprenants” seront véritablement la marque de fabrique du journal

Je dois vous avouer avoir été étonné. C’est bon signe, même pas encore publiés, ils sont déjà surprenants, et ça c’est très fort. Quel aveugle fallait-it être pour ne pas avoir vu que ces éléments – pourtant sous mes yeux dès le départ – représentaient les véritables innovations ? Naïvement, je pensais que l’innovation pouvait consister à :

  • Publier une édition papier complètement différente de ce que l’on trouvera sur le web (ce sera peut-être le cas, mais ça n’a pas été annoncé)
  • Proposer un système de paiement différent de l’abonnement classique, par exemple inspiré des micro-achats des jeux mobiles, comme Le Temps
  • Amener de nouvelles rubriques, inexistantes en Suisse romande (comme Rue 89 avec ses portes-monnaies ou ma vie de baise)

Mais non, on repart tout pareil. D’ailleurs, la rédaction compte, en premier lieu, trouver des locaux à Lausanne avec l’argent récolté. Pourquoi ne pas se contenter d’un ordinateur portable et d’une salle de réunion louée deux fois par semaine ? Ou, au pire, bosser au bistrot (et je ne dis pas ça pour Gian Pozzy) ? Le journalisme doit-il absolument rester entre les murs de sa rédaction, surtout si cela coûte, au minimum, le quart de l’argent récolté jusqu’ici ? La prise de risque est déjà assez grande comme cela pour ne pas s’encombrer de frais évitables en 2017, du moins au départ.

Oui, cette démarche répond à une véritable demande des Romands de trouver autre chose sur le plan médiatique. Comme les Suisses-Allemands avec Republik. Il faut espérer que cela marche, mais est-ce une raison pour ne proposer que de l’innovation de perlimpinpin ? J’aurais préféré que l’on me dise : “le but est de faire ce que faisait l’Hebdo, mais sans Ringier, Axel et Springer, qui étaient les relous qui parlaient plus de marketing que d’information. On va essayer de mettre en place le projet de nouvelle forme qu’ils ont refusé et on a besoin de vous pour cela.” Ça aurait été honnête et couillu.

Le paysage médiatique suisse est riche et j’ai la chance de côtoyer de très bons journalistes. Mais pour inverser la tendance mercantile et de clic qui commence à pourrir les médias, il faudrait se sortir les pouces de l’édito, au lieu de se reposer sur des lauriers qui finiront, tôt ou tard, à se faner si l’on ne les arrose pas de vraies nouveautés. Se mettre en difficulté avant d’être mis au chômage et ne pas compter – à terme – sur le soutien financier de l’Etat pour garder le confort des acquis.

Dernier exemple en date, le numéro final de l’Hebdo (rétrospectives des Unes marquantes) qui consistait en un recueil d’articles sur le nombril d’un cadavre que l’on pleure, sans pour autant être allé le voir à l’EMS durant les deux dernières années. Etait-ce vraiment une porte de sortie à la hauteur de ce que le titre avait été ? Pas sûr. Il y avait un numéro à remplir, et non à repomper. Au moins, ces larmes ont poussé à réagir, et c’est une excellente nouvelle. Mais n’oublions pas de nous sécher les yeux avant de passer à l’action.

Ce post est là parce que le sujet est important. Je suis méfiant, parfois moqueur et ironique sur la forme, mais partisan sur le fond (et abonné). Pour le geste, par curiosité et parce que j’espère sincèrement que Bon pour la tête trouvera sa place et ses lecteurs.

Mesdames et messieurs journalistes, la plume est dans votre camp. Mes attentes sont à la hauteur de vos promesses.