Après les excès des fêtes, l’initiative NoBillag et le débat passionné qu’elle entraîne se sont chargés de nous saouler jusqu’à l’indigestion. Et vas-y que “y a qu’à se financer par le pub”, moi j’te le dis “il n’y a pas de plan B”, et puis “je veux payer seulement ce que je consomme” mais quand même “pensons à l’unité nationale”.
Comme toutes les discussions passionnées, NoBillag accouche de pas mal de conneries et ce, quel que soit le camp choisi. Après tout, la bêtise c’est comme le cœur : personne n’en a le monopole. Au milieu de cette agitation, les sondages jouent à Ni oui ni non, rajoutant encore un peu de confusion au tout. Résumons un peu : NoBillag c’est arrêter et interdire de financer l’audiovisuel public, sauf en temps de guerre, dès le 1er janvier 2019. Voilà.
Le texte tient en 1045 caractères espaces compris. Soit seulement 981 de plus que “Et ben mon vieux, ils se sont pas foulés avec la proposition” et exactement le même nombre que cet article, là, maintenant. Et dire que l’anonymat de Nicolas Jutzet n’a tenu qu’à si peu de choses… Frustrant, non ?
Parce que oui, cette initiative me saoule. Non pas que l’offre de la RTS soit parfaite – il suffit de tomber (par erreur, forcément) sur Al Dente pour s’en rendre compte – ou qu’elle ne mérite pas d’être remise en question. Mais faut-il vraiment sacrifier le bon sens sur l’autel de la liberté d’initiative ? Depuis quelques années, nous sommes appelés à éteindre des incendies avec nos bulletins de vote. Et tout le monde sait que le papier brûle d’autant mieux quand la flamme est populiste. Je vous laisse repenser au 29 novembre 2009, par exemple.
Je veux bien que l’on innove, mais est-ce que proposer de démanteler une institution, sans amener quoi que ce soit d’autre (je vous le rappelle : 1045 caractères espaces compris. C’est moins que la liste de course d’un apéro de Gérard Depardieu) est vraiment si novateur que cela ? Entre vous et moi, je pense qu’on peut facilement trouver 100′000 personnes prêtes à signer un papier qui dirait “les transports publics sont trop chers, il faut les libéraliser.”
C’est tout : 66 signes qui mériteront qu’on se pose la question dans les urnes et qu’on flippe un coup pour un vote qui pourrait fragiliser notre société. Parce que quand la question est bête, la réponse est rarement intelligente. Même si l’on est nombreux à la formuler.
Les excités du capitalisme qui se tripotent la liberté de choix en HEC devraient se rappeler que l’Homme ne prend pas toujours la bonne décision. La preuve avec la légende de cette photo de profil :
“Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en moi. Remarque c’est la même chose.” Remarque, c’est pas sympa d’être allé déterrer ça.
Soyons francs, si je suis aussi mesquin, c’est bien parce que je crois qu’il est encore possible que ce texte passe. Quand les principales armes de la campagne du NON sont l’éloquence de Laurent Wehrli et le compte Twitter de Massimo Lorenzi, tu as de quoi te faire du soucis. Ce n’est en tout cas pas avec cette armada-là que je partirais à la guerre. De toute manière, dans sa situation, la RTS ne pouvait que planter cette campagne. Déjà parce qu’il est difficile de se défendre et d’informer, et puis parce que, bon, Al Dente, sérieusement ?!
Même si un oui peut sortir des urnes, ce n’est pas cette possibilité qui est la plus dangereuse pour l’audiovisuel romand (rapport au titre racoleur de l’article). Je m’explique.
Le 8 février dernier, la RTS annonçait ses résultats d’audience 2017. Le communiqué était clair :
C’est sur les réseaux sociaux que la RTS observe sa plus forte croissance. En cumulant ses présences sur Facebook, Twitter, YouTube et Instagram, la RTS compte désormais près de 2,1 millions d’abonnements (+33%). Quant au nombre de vues journalières sur YouTube et Facebook, il explose littéralement pour atteindre 417’000 (+76%).
“Chaque jour, plus d’un demi-million de vidéos de la RTS sont vues soit sur les réseaux sociaux, soit sur le site et les applications mobiles de la RTS. Et ce en parallèle de la télévision”, constate Pascal Crittin.
La veille, Thomas Wiesel partageait le très intéressant How Facebook is Killing Comedy de Sarah Aswell, elle-même humoriste. Cet article explique très bien comment les créateurs de contenu en sont arrivés à travailler indirectement pour Facebook avant de perdre leur job. Vous voyez où je veux en venir ?
En générant un trafic monstrueux, le site a réussi à créer “un internet dans internet” où il peut définir ses propres règles. A grands coups de changement d’algorithmes aussi opaques que le domicile fiscal de Pascal Broulis, le réseau social pousse les créateurs à devoir payer pour toucher leurs propres followers.
Toutes les vidéos vues sur les réseaux sociaux de la RTS ne le sont pas sur leur site ou leurs chaînes : impossible d’y vendre de la publicité. A quel moment Facebook demandera-t-il aux médias traditionnels de payer un droit de diffusion, avant même de faire payer pour des pubs, comme c’est le cas actuellement ? Le site a déjà tellement changé les codes du web que les boîtes ont dû dépenser plusieurs milliers de francs dans du community management et des projets WebPourJeunes2.0SurSnapchat. Mais peut-être que dans quelques temps, Pascal Crittin recevra une lettre de Mark Zuckerberg :
“Coucou Cricri,
Merci pour le contenu de l’an dernier. On a été sympas avec les 417′000 vues. Il faut bien concurrencer Youtube, mais qu’est-ce que tu veux, on ne va pas pouvoir être gratuits éternellement. Du coup, au verso, y a mon CCP pour l’abonnement de l’année prochaine.
Je mettrais bien une formule de politesse, mais je m’en balek’ parce que je sais que je peux me passer de toi, alors que l’inverse n’est pas aussi évident.
Bizou !
Mark”
Et là, peut-être que l’on se dira que le rôle du service public n’était pas de dépendre des réseaux sociaux. On se dira que c’était con qu’il n’y ait pas eu une plateforme locale. On rigolera de l’idée de la liberté de choix quand on ne l’aura plus, ou de l’idée de “miser sur le génie helvétique” pour trouver un plan B face aux géants internationaux. Peut-être même que l’on se mordra les doigts que personne n’ait tenté d’éduquer les jeunes à une certaine consommation des médias, au lieu de s’adapter à la leur.
Et, surtout, on regrettera le temps où les menaces les plus dangereuses n’étaient qu’une initiative racoleuse et Nicolas Jutzet.
PS I : Vous avez été nombreux à me demander pourquoi ce site était momentanément à l’arrêt. Vous avez été encore plus nombreux à ne pas le faire. Merci à vous tous. Il y a beaucoup de choses à écrire ces temps, mais chaque matin j’ai un pincement à l’agenda à 9h20 (et malheureusement je me lève plus tôt qu’à 8h20 pour suivre le rythme).
PS II, à propos de ces beaucoup de choses à écrire : Mauvaise Langue, l’émission présentée par Thomas Wiesel et Blaise Bersinger, commence vendredi “après le film du soir” sur RTS 1. Je risque d’écrire plus souvent pour ce programme drôle (sur l’actualité) que pour ce blog.
PS III :
“Au fait,
L’idée de ce texte n’est pas de défendre un bout de gras quelconque. Votez ce que vous voulez, déjà parce que c’est le but d’un vote et que je m’en balek un peu. Aussi parce que mon activité principale n’est pas de bosser pour une émission diffusée sur la RTS jusqu’à cet été, indépendamment de ce qu’il se dépouille le 4. Il n’y a pas mon CCP au verso parce que, même si cet article m’a pris plusieurs heures, je n’ai pas besoin de fric.
Bizou !
Ben”