de Benjamin Décosterd, (initialement) pour se lever à 8h20

Catégorie : Quotidien Page 10 of 21

(Re)prendre son clavier et de l’âge

Plus alimenté et laissé à l’abandon, ce blog est devenu un endroit sombre qui sonne creux. C’est bien simple, on se croirait dans la vie sexuelle d’un étudiant de l’EPFL. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien s’ils ont autant de motivation pour inventer des robots, qui sont leur seul espoir de se frotter à quelque chose de plutôt vivant durant leurs études.

Je tiens mon engagement d’un post par jour à 9h20 aussi bien que l’alcool quand j’avais 16 ans. Navré. Mais si j’écris peu, c’est que je travaille. Et quand on est rédacteur indépendant c’est plutôt bon signe.

Et puis, il y a peu d’article, parce qu’il n’y a pas grand chose de folichon dans mon quotidien dernièrement (en même temps, quelqu’un qui utilise l’expression “folichon” ne vit que très rarement des trucs ouf).

Vendredi soir, je devais sortir mais la soirée a été annulée le jour-même. Netflix me faisait de l’œil et je fantasmais sur les courbes de mon canapé alors j’ai décidé de rester chez moi et de me coucher tôt. Oui, j’en arrive au point où une fois que j’ai enlevé mon pantalon je ne ressors plus, même si c’est vendredi et qu’Emily Ratajkowski me propose d’aller boire une bière au Great. En même temps, ça a très peu de chance de se produire, elle déteste le Great.

Le jour-même j’étais allé faire des courses. Toujours pas folichon. Le contenu de mon cabas ressemblait à l’autopsie de la vie tristement ordinaire d’un mec qui utilise l’expression “cabas”. C’était tout aussi passionnant que le making-of d’un documentaire sur les doubles mentons. A tel point que j’ai senti le caissier compatir et regretter que son étalage ne propose pas chewing-gum goût Lexomil. Je crois que devant mes rouleaux de PQ et mon nettoyant universel, il a eu envie de me refiler le numéro de son psy.

Voilà pour mon vendredi, signe avant-coureur d’un vieillissement qui se confirme. Hier soir, j’ai fait une fondue à la maison. Je me suis endormi sur le canapé à 2h du matin devant mes invités. Au réveil, je n’avais même pas de bite dessinée sur le front. Ça me rassure de voir que je ne suis pas le seul à vieillir. Oui parce qu’avant on a parlé culture et politique. Le genre de discussion où tu sors des trucs comme de “Attention, je ne tiens pas ce discours-là”, “fourvoyer” et tout un tas d’autres expressions que je ne comprenais pas quand mes parents invitaient des amis à la maison.

Ce matin, je suis tombé sur ce post.

Autre signe : je me suis dit que les jeunes ne savaient plus écrire. Après je me suis dit que cétez une remark de vieu.

Et me voilà en train de vous en parler ici, avec la posture pathétique du type de 25 ans qui dit qu’il devient vieux. En y repensant, il y a 10 ans j’étais bête (mais encore jeune) parce que je pensais avoir tout compris à la vie. Maintenant je me crois vieux, alors que pas du tout.

Je n’ose pas imaginer de quelle manière je vais être imbuvable à mes 35 ans.

Un manteau et un spectacle

L’autre jour, alors que j’étais sur mon scooter – roulant vers mon destin et un sacré retard de planning – j’ai repensé à la fois où j’avais commandé un manteau via un post sponsorisé sur Facebook. Je crois que l’image ressemblait à ça :

Ne me jugez pas, on a tous été jeunes et beaufs, et si ça se trouve certains d’entre vous le sont encore.

 

Je devais déjà être entrain de me voir pavaner au MAD avec un trench coat de connard, une boucle de ceinture de gros con et une jeans délavé moulant une virilité toute relative. Je crois qu’à cette époque, je voulais me prendre pour un vendeur d’assurances qui se prend pour un responsable marketing d’une banque: les apparats de ses ambitions et les 32 leasings qui vont avec.

Bref, je repensais à ça, me disant qu’à l’époque j’étais bête et qu’il faudrait que je m’achète une nouvelle veste d’hiver. Parce que celle que j’ai actuellement me fait me sentir bien habillé uniquement le dimanche matin, quand je vais au rendez-vous des “j’ai la gueule de bois et rien dans mon frigo” du quartier. C’est organisé vers 13h30 à l’épicerie du Valentin, vous devriez venir à l’occasion, c’est marrant. Ça pue la honte et l’alcool frelaté, et ceux qui n’ont pas de lunettes de soleil se font des clins de cernes.

Donc, je veux une nouvelle veste, mais je ne vais pas la commander sur internet. Puisque le précité modèle m’a été livré et que – comme sur Instagram, au Mc Do et sur Tinder – la photo était trompeuse. Le manteau était trop petit, mais avec des manches trop larges. Cette coupe hybride aurait réussi à faire passer n’importe quel homme classe et distingué pour le croisement entre un poilu de 14-18 et un contrôleur de bus de l’ex-URSS.

Tout ça pour dire que je serais allé m’acheter un manteau, si j’avais eu le temps. Ce qui n’était pas le cas, puisque je devais me rendre à Genève pour le spectacle de Mirko Rochat. Mirko Rochat qui détonne avec ses talons roses, Mirko Rochat qui connaît un “Enorme succès en Suisse, seulement 2 dates à Paris! Réservez vite!”, Mirko Rochat dont la promo est faite à base d’UNIQUES DATES DANS LA RÉGION avant même que l’on sache où et quand il joue, MIRKO ROCHAT COMPLET, Mirko Rochat dont le management cartonne en marketing (cela ne veut pas dire que c’est un artiste en carton, entendez-moi bien).

En effet, j’avais été invité par son agente qui a “pris le risque” de le faire suite à un article aussi bienveillant que sincère sur les gens qui s’endorment dans les salles de bains. Mais au fond, le risque n’en était pas un : sur scène, le résultat est propre et rythmé, le public rit et je comprends que cela plaise. Moi ça ne me parle pas mais ce n’est pas une raison pour dénigrer ce spectacle. A deux reprises, j’ai même senti et aimé sa sincérité crue. Le reste est étouffé par des personnages plus caricaturés que joués (l’homme qui va mourir parce qu’il est malade, la femme poussée à bout par ses enfants) et certaines vannes aussi prévisibles qu’un groupe de stand-uppers dans le métro. Au début, Mirko te dit qu’il va falloir parler à tes amis de ce spectacle (que tu vas aimer) et à la fin il se filme pendant des applaudissements spéciaux de selfie promo. C’est aussi énervant que je peux l’être parfois je suppose, donc assez parlé de goûts et de couleurs.

Non le vrai risque en m’invitant était que je pointe de la souris la communication de l’artiste :

Le plan de salle sur l’affiche : visiblement “La preuve!” de quelque chose d’autre que la sobriété.

 

Le public est accro sans accroC et il a aussi adoré en vidéo ici et ici (d’ailleurs dans cette vidéo, même le metteur en scène était venu comme spectateur lambda et a kiffé : le hasard fait bien les choses).

  

Tous les codes de la superproduction sont là, pour un artiste qui n’a pas encore conquis le grand public. Au fond, comme pour les manteaux commandés sur internet, les apparences sont parfois trompeuses. Sur Léman Bleu, Mirko disait d’ailleurs: “C’est un défi d’incarner ce qu’on n’est pas.”  Moi, je pensais qu’il parlait uniquement de ses personnages.

Cela dit, ce n’est pas une raison pour ne pas y croire. Mirko deviendra-t-il connu un jour ? Peut-être. Va-t-il nous les briser à coups d’UNIQUES DATES d’ici-là ? Certainement. Les poissons paraissent parfois un peu vite trop gros dans le petit bassin qu’est la Suisse romande.

Un peu à l’image des personnages du spectacle, c’est trop. Un trop qui ne rend pas hommage au potentiel de l’artiste, ni aux heures de travail et d’angoisses qui doivent se cacher derrière les rideaux d’un café-théâtre genevois.

Rock Stars

Nous y voilà enfin ! Je suis de retour derrière mon clavier, tel un Mozart 2.0 loser qui s’est engagé à écrire un article par jour pendant une année. Parce que j’ai du retard (non pas comme une femme qui serait enceinte, mais simplement avec un décalage temporel, comme les idées de Suzette Sandoz).

Mais que voulez-vous, on s’est fait vieux la semaine passée et quand on se fait vieux, il parait qu’on doit faire la fête pour marquer le coup. Et faire la fête ça prend du temps : avant pour organiser, sur le moment pour être insouciant, et après pour essayer de se rappeler ce qu’on a fait quand on était insouciant.

J’aurais aussi voulu vous parler du Swiss Web Festival, parce qu’Aujourd’hui y a gagné un prix pour ses vidéos web. Celles-là même dont j’ai rédigé les textes. Au-delà de l’égotrip, je voulais couvrir ce festival parce que ça me semble plutôt sympa et que je leur suis redevable d’au moins 200 petits canapés et 3 bouteilles de champagne depuis les 4 éditions où je m’y rends. Mais parler du web avec une semaine de retard n’a aucun intérêt, puisque c’est bien connu : 7 jours sur internet sont équivalents à la durée de la carrière de Jean Rochefort dans la vraie vie.

Mais assez parlé du nombril de mon blog. Parlons plutôt du mien, qui était à Munich pour écouter Polar Circles, en tournée avec The Coronas qui, comme son nom ne l’indique pas, est un groupe irlandais qui boit beaucoup de bières (sont-elles Mexicaines, je n’en sais rien).

Trois jours de voyages, cent trente-cinq bières, un schnitzel de la taille du Liechtenstein et un demi-genou de porc de celle d’un demi-genou de porc (et croyez moi, ils ont des sacrés demi-genoux) pour une session acoustique : ce n’est pas la définition même de l’efficacité. Le projet, si bien vendu par mon pote Thierry (”on va à Munich pour boire et trop manger sous prétexte de soutenir les artistes suisses ?”), m’a semblé assez absurde pour que je m’y lance.

Ci-dessus, un demi-genou de Porc

 

Quand une idée parait tellement stupide que l’on pourrait la considérer comme une œuvre d’art contemporain, il faut généralement dire oui. Sauf si cela consiste à jouer à la roulette russe avec un pistolet automatique ou si c’est une initiative UDC.

Donc, quelques minutes de réflexion et une heure et demie d’avion plus tard, nous voilà à Munich, une chope d’1l dans la main. C’était dimanche soir et il fallait bien attendre le concert qui avait lieu 24 heure plus tard. Une attente qui nous a permis de constater que cette ville le dimanche n’est pas plus animée que Lausanne. Mais qu’il y a tout de même moyen de rigoler si l’on cherche bien.

Le lundi après-midi était consacré à la culture et la visite du musée de la chasse et de la pêche, sur lequel nous nous sommes rabattus après avoir appris que le musée de la pomme de terre n’existait plus. Un musée qui repousse les limites de la dose de fun accessible pour 5€, mais qui serait bien plus drôle si les œuvres étaient légendées par les rappeurs français, comme les Casseurs Flowters ou Booba :

Puis, nous avons retrouvé Polar Circles dans un Airbnb un peu plus loin du centre et de l’idée que je me faisais d’une tournée de rockers. L’hôtel 5 étoiles s’appelait “Madame Fruh” et la cocaïne avait été remplacée par une tasse de thé contre voix usées.

Mais pas le temps de se focaliser sur ces détails qui n’auront plus d’importance le jour où les rockers lausannois rempliront Wembley de fans et leur suite au Four Seasons de groupies. Rome ne s’est pas faite en un jour, et d’ailleurs cela aurait certainement pris encore plus de temps si on avait demandé à Polar Circles de construire la ville.

Parce que tourner avec The Coronas, c’est déjà un excellent début pour leur deuxième album qui s’annonce canon. En Allemagne, les salles étaient pleines et les Irlandais ont visiblement apprécié leurs compagnons de tournée. Parce qu’il ne faut pas croire non plus qu’être musicien en Suisse consiste à comparer sa Hublot avec Bastian Baker en écoutant du Stephan Eicher. Cela veut surtout dire faire des kilomètres de route pour porter trop de matos et s’emmêler les jack, avant de pouvoir enfin ravir le public.

Polar Circles en train de ravir le public.

Et puis, comme toutes les belles choses ont une fin, il a fallu se réveiller tôt et reprendre la route avec le groupe vers un régime alimentaire normal, des heures de sommeil et une douche.

Je n’ose pas imaginer ce qu’il en est des membres du groupe, après 10 concerts en 15 jours et 3 pays, de Hambourg à Munich. Un jour, ils finiront bien par y être, sur cette grande scène du Paléo. Et dans le public, il y aura certainement deux types déçus qu’il n’y ait pas de stand de demis-genoux de porc à Nyon mais qui auront une larme de fierté pour leurs potes qui – à force de kilomètres en van, de nuits courtes, d’investissement en temps, en énergie et en fric – auront mérité de pouvoir ravir un si large public sans devoir s’exiler.

D’ici-là, mettez-vous en plein les oreilles :

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