de Benjamin Décosterd, (initialement) pour se lever à 8h20

Catégorie : Invités

Mercredi soir, j’ai eu réu des CP2 – Stéphanie Pahud

Mercredi soir, j’ai eu réu des CP2. Traduction : je me suis retrouvée assise sur une chaise pour Minipouss en cercle autour d’un tapis bleu avec une quinzaine d’autres parents (dont 3 papas, mais, qu’on se rassure, accompagnés) dont les enfants viennent, comme mon fils, de rentrer à l’école. Premier émoi à l’orée de la séance : « Je suis vraiment désolée, il faut que je vous explique, on a eu un gros problème cet après-midi ». Un Minipouss blessé ? La Rega dans la place ? Une alerte à la bombe ? « Mon ordinateur a planté, mais vraiment planté, j’sais pas ce qui s’est passé, du coup j’ai dû changer d’activité au dernier moment du coup, et vous pourrez pas repartir avec le bricolage de vos enfants, du coup ». Bon, disons que la mise en garde façon tragédie est partie d’un bon sentiment et, du coup (hélas, c’est contagieux, j’ai renoncé à les compter à partir du dixième), soyons indulgents.

Seconde séquence émotion, les présentations : « Alors vous allez les uns après les autres prendre Monsieur Rigolo dans la main, nous dire qui vous êtes, puis passer Monsieur Rigolo à votre voisin ». J’ai 40 ans, je suis plutôt chaleur-bonheur friendly, mais le passage de peluche en mode Narcotiques Anonymes, ça pique. Un peu comme les cocos, les cuicuis (le langage « hypocoristique », non ce n’est pas un gros mot) et tout ce qui, sous couvert d’éveiller les petiots, ratisse large en termes de crétinisation transgénérationnelle. Mais j’aurais eu tort de crier au pire trop vite : « Alors moi c’est Natacha, la maman de la petite Juliette. Elle ça va, mais pour moi, c’est très dur ». La larme est tombée une dizaine de minutes plus tard, à l’annonce du camp de 3 jours (« 3 jours !!!!!! ») à une vingtaine (d’accord, une GROSSE vingtaine) de kilomètres de l’école. Non, tous les parents ne pensent pas à leurs enfants d’abord, et à leur autonomie. Ils se noient (et les noient) dans leurs angoisses et leurs projections.

A suivi la séquence questions libres (dans un espace bien dé-limité, faut pas déconner quand même) : « Pour ce qui est de la pratique de la queue leu-leu, j’ai été étonné qu’elle ne soit plus en vigueur le matin à 8h45, vous pourriez nous dire ce qu’il en est ? » Sérieusement ? Évidemment, on pourrait se dire que c’est merveilleux de s’étonner. De tout et de rien. Sauf qu’il y a rien et rien. Mais là encore, soyons indulgents, et disons que ce papa a voulu faire du zèle. Un autre papa proactif a osé aller dans l’élan, jusqu’à la confession : « Je voudrais partager quelque chose d’assez fou avec vous ». Et de brûler d’impatience vu le teasing. « Notre petite Zora, qui est une vraie sauvage (NDLR : elle adore sa cabane de jardin) a pleuré samedi. Vous voulez savoir pourquoi ? » Plutôt pas, mais ce n’est pas comme si on avait eu le choix. « Elle a pleuré parce qu’elle n’avait pas école ! » Voilà, voilà. Ça ne rassure ni sur l’ambiance à la maison ni sur la gestion du dossier « anecdotes et facéties » de superpapa spontané : certes, quand SON Minipouss marche pour la première fois, ou fait sa première dent, on est terriblement, infiniment, profondément impressionné et bouleversé et remué (et heureusement). Mais avec un brin de réflexivité, on peut se dire que l’annoncer à la terre entière en pensant que la terre entière va jubiler en symétrie, c’est un chouïa inadéquat : a priori, c’est juste « normal » (je déteste utiliser ce terme, mais en l’occurrence, c’est purement quantitatif et ce n’est pas la peine de jargonner) qu’un gosse, un jour, se mette à se déplacer debout et à disposer d’outils de mastication.

Troisième séquence émotion : « Je suis vraiment désolée, mais il faut que je vous annonce quelque chose ». Y aurait-il donc pire qu’un plantage PC ? « Vous n’allez pas pouvoir vous éterniser, parce que dans une demi-heure je reçois les parents des CP3, du coup… ». Mince alors ! Consolation, et pas des moindres, la rencontre a pris fin sur une audace langagière chatoyante : « En partant, vous pouvez prendre le temps de regarder skeya dans les casiers de vos enfants ». Oui, « skeya ». La linguistique a beau être une science descriptive et moi me réjouir de toute forme de diversité, d’hybridité même, ça chatouille fort les oreilles, « skeya » (« ce qu’il y a », pour ceux qui n’auraient pas décodé).

Enfin, moi qui craignais que de gros méchants stéréotypes de sexe/genre ne s’infiltrent dans les cartables, j’ai été pleinement rassurée avant de sortir de la salle. La binarité sera abordée sauvagement, sans détour, et tous les jours : fil rouge de l’année, les Monsieur/Madame. Ouf, tout va bien. Ce serait quand même ballot de pervertir l’institution scolaire et d’en faire un espace de créativité. Cynisme mis à part, rien (enfin, pour être honnête, juste la microdisgrâce syntaxico-phonique citée plus haut) ne peut être retenu contre l’institutrice, qui de toute évidence entourera merveilleusement et patiemment toutes ces nouvelles recrues remuantes. En revanche, tout parent gagnerait, me semble-t-il, à faire un ou deux pas de côté, à droite de ses hormones et à gauche de ses névroses.


Régulièrement, le Post de 9h20 accueille d’autres auteurs.

Très médiatique, Stéphanie Pahud a souvent dû “endurer” des portraits. Je suppose qu’elle en a marre qu’on lui dise que quand même, ce look de rockeur tatoué, pour une femme intellectuelle, ça détonne un peu. Elle doit aussi se lasser des formules à la mords-moi le style, du genre de “cheveux blonds et lèvres rouges”. Et puis, il faut bien le dire, présenter par écrit une linguiste / prof d’UNIL, c’est aussi périlleux que de jouer au foot devant Messi, négocier avec un lobbyiste en face d’Inazio Cassis ou faire un chat-bite à Rocco Sifreddi. Un faux mouvement et c’est le désastre.

Capable d’installer Tinder sous prétexte de recherche scientifique, de dire des trucs comme “imaginaires sous-jacents”, ou de chairir inventer des mots sans être énervante, lanormale Stéphanie Pahud reste un mystère : son image crie “j’existe et je vous emmerde” alors que sa voix murmure “ce serait super d’écrire sur ton blog.” La lire ici est un honneur.

Précis de défense en milieu littéraire – par Quentin Mouron

Je ne connais rien de plus assommant, de plus vain, de plus grossier qu’une « manifestation littéraire. » Ce que l’on nomme la littérature – plus par habitude que par conviction – en est à peu près absente. L’art se perd dans l’attroupement, se dilue dans l’effet de masse. Le génie cède le pas aux petitesses : rancunes, jalousies, haines sourdes, blessures d’ego.

On s’y serre dédaigneusement les mains, on prononce des paroles vagues, aériennes, sur le sacerdoce de l’écrivain ou le monde qui va mal, qui ne lit plus, qui n’achète plus nos livres (car le monde achète toujours des livres, mais qu’il n’achète jamais les nôtres). On se convainc que nous appartenons à une « espèce en voie de disparition » ; on se convainc que nous sommes faits du bois des insurgés, des subversifs ; on se convainc que nous avons un poids, une densité ; on se convainc que la littérature a le pouvoir d’entailler la surface du monde. Mais l’autopersuasion ne nous réussit pas. Nous avons l’impression que nous sommes des faussaires, que nous craignons un peu. Et cette impression menace directement la haute estime que, d’habitude, nous avons de nous-mêmes.

Arrivant dans une manifestation littéraire où ils savent qu’ils seront condamnés à exister en dessous d’eux-mêmes, les auteurs élaborent des stratégies, ont recours à des expédients. Tel n’y vient qu’ivre mort, tel autre prend le parti de ne parler que de lui-même ; tel exige de ne se faire appeler que par les noms des prix qu’il a reçu, tel autre tente de violer toutes les femmes qu’il rencontre ; tel se réfugie périodiquement dans les toilettes (pour se branler, tirer de la coke ou lire Racine), tel autre tient des propos de PMU sur la culture qui vacille, l’humanisme qui sombre ou la virilité de Vladimir Poutine.

Pour ma part, j’opte pour la stratégie du pique-assiette : je m’efforce de manger et de boire le plus possible sans jamais rien payer ; c’est tantôt un apéro de bienvenue que je pille, tantôt un lecteur que je force à raquer, tantôt une bouteille que je subtilise. Cela me fait entrer, derechef, dans la catégorie des connards sympathiques. L’écrivain qui boit et mange, cela amuse, cela émeut. On me regarde avec bienveillance. On m’invite à nouveau. Le pillage est moins compromettant que le harcèlement sexuel ou la prise de méthamphétamine. Quant à l’aspect moral de la chose, rassurez-vous, vous êtes couvert : un auteur qui se déplace à ses frais pour venir travailler gratuitement a bien le droit de voler quelque chose en partant !

Quentin Mouron

 

Régulièrement, le Post de 9h20 accueillera d’autres auteurs.

Quentin Mouron a écrit 5 livres, il a une page Wikipedia et un site à son nom. Il fume des cigarettes et boit du vin (la dernière fois que je l’ai vu, il était tellement sans fond qu’on aurait dit le bouquin de Nabila). Sous un Perfecto et derrière une image de rebelle (sauf quand il joue à Sim City sur son téléphone ou lit les Pères de l’Eglise), se cache un type adorable qui ne ferait pas de mal à autre chose qu’une page blanche et à nos opinions conformistes.

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