Mercredi soir, j’ai eu réu des CP2. Traduction : je me suis retrouvée assise sur une chaise pour Minipouss en cercle autour d’un tapis bleu avec une quinzaine d’autres parents (dont 3 papas, mais, qu’on se rassure, accompagnés) dont les enfants viennent, comme mon fils, de rentrer à l’école. Premier émoi à l’orée de la séance : « Je suis vraiment désolée, il faut que je vous explique, on a eu un gros problème cet après-midi ». Un Minipouss blessé ? La Rega dans la place ? Une alerte à la bombe ? « Mon ordinateur a planté, mais vraiment planté, j’sais pas ce qui s’est passé, du coup j’ai dû changer d’activité au dernier moment du coup, et vous pourrez pas repartir avec le bricolage de vos enfants, du coup ». Bon, disons que la mise en garde façon tragédie est partie d’un bon sentiment et, du coup (hélas, c’est contagieux, j’ai renoncé à les compter à partir du dixième), soyons indulgents.

Seconde séquence émotion, les présentations : « Alors vous allez les uns après les autres prendre Monsieur Rigolo dans la main, nous dire qui vous êtes, puis passer Monsieur Rigolo à votre voisin ». J’ai 40 ans, je suis plutôt chaleur-bonheur friendly, mais le passage de peluche en mode Narcotiques Anonymes, ça pique. Un peu comme les cocos, les cuicuis (le langage « hypocoristique », non ce n’est pas un gros mot) et tout ce qui, sous couvert d’éveiller les petiots, ratisse large en termes de crétinisation transgénérationnelle. Mais j’aurais eu tort de crier au pire trop vite : « Alors moi c’est Natacha, la maman de la petite Juliette. Elle ça va, mais pour moi, c’est très dur ». La larme est tombée une dizaine de minutes plus tard, à l’annonce du camp de 3 jours (« 3 jours !!!!!! ») à une vingtaine (d’accord, une GROSSE vingtaine) de kilomètres de l’école. Non, tous les parents ne pensent pas à leurs enfants d’abord, et à leur autonomie. Ils se noient (et les noient) dans leurs angoisses et leurs projections.

A suivi la séquence questions libres (dans un espace bien dé-limité, faut pas déconner quand même) : « Pour ce qui est de la pratique de la queue leu-leu, j’ai été étonné qu’elle ne soit plus en vigueur le matin à 8h45, vous pourriez nous dire ce qu’il en est ? » Sérieusement ? Évidemment, on pourrait se dire que c’est merveilleux de s’étonner. De tout et de rien. Sauf qu’il y a rien et rien. Mais là encore, soyons indulgents, et disons que ce papa a voulu faire du zèle. Un autre papa proactif a osé aller dans l’élan, jusqu’à la confession : « Je voudrais partager quelque chose d’assez fou avec vous ». Et de brûler d’impatience vu le teasing. « Notre petite Zora, qui est une vraie sauvage (NDLR : elle adore sa cabane de jardin) a pleuré samedi. Vous voulez savoir pourquoi ? » Plutôt pas, mais ce n’est pas comme si on avait eu le choix. « Elle a pleuré parce qu’elle n’avait pas école ! » Voilà, voilà. Ça ne rassure ni sur l’ambiance à la maison ni sur la gestion du dossier « anecdotes et facéties » de superpapa spontané : certes, quand SON Minipouss marche pour la première fois, ou fait sa première dent, on est terriblement, infiniment, profondément impressionné et bouleversé et remué (et heureusement). Mais avec un brin de réflexivité, on peut se dire que l’annoncer à la terre entière en pensant que la terre entière va jubiler en symétrie, c’est un chouïa inadéquat : a priori, c’est juste « normal » (je déteste utiliser ce terme, mais en l’occurrence, c’est purement quantitatif et ce n’est pas la peine de jargonner) qu’un gosse, un jour, se mette à se déplacer debout et à disposer d’outils de mastication.

Troisième séquence émotion : « Je suis vraiment désolée, mais il faut que je vous annonce quelque chose ». Y aurait-il donc pire qu’un plantage PC ? « Vous n’allez pas pouvoir vous éterniser, parce que dans une demi-heure je reçois les parents des CP3, du coup… ». Mince alors ! Consolation, et pas des moindres, la rencontre a pris fin sur une audace langagière chatoyante : « En partant, vous pouvez prendre le temps de regarder skeya dans les casiers de vos enfants ». Oui, « skeya ». La linguistique a beau être une science descriptive et moi me réjouir de toute forme de diversité, d’hybridité même, ça chatouille fort les oreilles, « skeya » (« ce qu’il y a », pour ceux qui n’auraient pas décodé).

Enfin, moi qui craignais que de gros méchants stéréotypes de sexe/genre ne s’infiltrent dans les cartables, j’ai été pleinement rassurée avant de sortir de la salle. La binarité sera abordée sauvagement, sans détour, et tous les jours : fil rouge de l’année, les Monsieur/Madame. Ouf, tout va bien. Ce serait quand même ballot de pervertir l’institution scolaire et d’en faire un espace de créativité. Cynisme mis à part, rien (enfin, pour être honnête, juste la microdisgrâce syntaxico-phonique citée plus haut) ne peut être retenu contre l’institutrice, qui de toute évidence entourera merveilleusement et patiemment toutes ces nouvelles recrues remuantes. En revanche, tout parent gagnerait, me semble-t-il, à faire un ou deux pas de côté, à droite de ses hormones et à gauche de ses névroses.


Régulièrement, le Post de 9h20 accueille d’autres auteurs.

Très médiatique, Stéphanie Pahud a souvent dû “endurer” des portraits. Je suppose qu’elle en a marre qu’on lui dise que quand même, ce look de rockeur tatoué, pour une femme intellectuelle, ça détonne un peu. Elle doit aussi se lasser des formules à la mords-moi le style, du genre de “cheveux blonds et lèvres rouges”. Et puis, il faut bien le dire, présenter par écrit une linguiste / prof d’UNIL, c’est aussi périlleux que de jouer au foot devant Messi, négocier avec un lobbyiste en face d’Inazio Cassis ou faire un chat-bite à Rocco Sifreddi. Un faux mouvement et c’est le désastre.

Capable d’installer Tinder sous prétexte de recherche scientifique, de dire des trucs comme “imaginaires sous-jacents”, ou de chairir inventer des mots sans être énervante, lanormale Stéphanie Pahud reste un mystère : son image crie “j’existe et je vous emmerde” alors que sa voix murmure “ce serait super d’écrire sur ton blog.” La lire ici est un honneur.