Il y avait ce type debout avec son sac de sport à ses pieds, deux filles qui parlaient fort, trop fort, des chinois avec leurs écouteurs dans les oreilles, un hipster bien coiffé, quelques vieux assis et moi.

Un type est arrivé et m’a demandé si j’avais l’heure. Je lui ai répondu que je n’étais pas tellement du style à porter une montre, mais que j’avais un téléphone, et que lui aussi d’ailleurs il avait un téléphone, il était dans sa main, alors, l’heure, je la lui donnais volontiers mais sa question elle avait plus un air d’excuse que de vraie interrogation.

Il m’a dit : “c’est vrai”, et moi j’ai dit qu’il ferait mieux de travailler ses phrases d’accroches s’il voulait ramener des filles chez lui. Il m’a dit qu’il n’aimait pas les aventures d’une nuit, qu’il était plutôt aventure d’une vie, j’ai dit que c’était déjà plus accrocheur et là… Là, j’ai réalisé que c’était drôlement silencieux dans le métro. Un peu trop. Silencieux, genre le calme avant la tempête.

Je cherche le problème. J’observe. Soudain, je comprends. Le mec au sac de sport est sorti, mais le sac est toujours là. On pourrait jurer, à la tête des filles, des vieux et des chinois, qu’on entend le tic-tac venir du sac. Ce tic-tac qui fait écho aux secondes qu’il reste à vivre, aux heures écoulées. Ce tic-tac des premiers amours et des cœurs brisés, des rêves en vrac, des nuits terrifiantes et des matins insouciants. Ce tic-tac des “j’aurais dû”, des “j’aurais pu”.

Ils se demandent tous ce qu’ils doivent faire de ce sac, ce qu’ils doivent faire dans ce métro, ce qu’ils auraient dû faire de leur vie peut-être. Ils s’observent. Personne ne dit rien mais les regards crient. Ca me fait sourire, parce que j’aurais été prête à parier que si c’était moi qui avait oublié un sac, quelqu’un l’aurait ramassé et probablement ramené aux objets trouvés, avec ou sans son contenu, mais quand même, ça n’aurait pas déclenché une pareille guerre du silence. Mais cette fois, parce que c’était un homme je crois, et parce qu’il portait une barbe c’est sûr, une longue barbe, de celles qui font peur apparemment, ce sac a remis la vie de tout le monde en question.

Malgré l’ambiance furieusement désagréable, je me suis dit que ça avait quelque chose de beau, ces inconnus qui s’unissent soudain. Le sentiment m’est vite passé. Les murmures ont commencé à se faire entendre. Les gens qui ont peur disent souvent des choses qu’ils ne pensent pas. Ou plutôt : des choses qu’ils ne pensaient pas dire. Un courageux anonyme a sorti son téléphone, genre laissez-moi faire, j’ai les choses en main : “Oui bonjour, il y a un sac abandonné dans le métro, on arrive à Jordils.”

J’y crois pas, il a appelé les flics. Ca n’a pas tardé, ils nous attendaient à la prochaine station : “Gardez votre calme mesdames et messieurs.” Moi je trouvais que j’étais assez calme, mais enfin bon j’ai pris une grande inspiration, de celles qui insinuent qu’on n’est plus calme pour très longtemps, parce qu’il n’y a pas à dire, la peur et la pointe d’excitation malsaine qui se mélangeaient sur le visage de mes colocataires éphémère du métro, ça m’a tendue.

L’arrogance des agents / super-héros qui avaient “la situation sous contrôle”, avec leur chiens et leurs vestes bleues et leur brushings impeccables, ça ne m’a pas détendue. On confond souvent confiance et arrogance parce que l’arrogance c’est plus facile. Mais eux, ils étaient surtout arrogants. “Sortez tranquillement, mesdames et messieurs.”

Alors je suis sortie, tranquillement mesdames et messieurs. J’ai regardé tout ce beau petit monde délimiter un périmètre de sécurité, puis utiliser des outils divers et variés pour analyser le sac et finalement je les ai observés l’ouvrir : il y avait dans ce sac de sport, à la surprise générale, des habits de sport.

C’était terminé. La tension avait disparue, le suspense s’était envolé, il ne restait plus que le trouble. Le trouble de se dire qu’on est des abrutis, qu’on est l’essence même des clichés qu’on critique le vendredi soir avec nos beaux-parents autour d’un verre de rouge. Alors ce serait vous mentir que d’affirmer qu’il n’y a pas eu une seconde où je me suis dit : “si je meurs maintenant, c’est quand même con.” La peur est contagieuse.

Mais ce qui m’a terrifiée, c’est l’effet que peut avoir un sac sans propriétaire dans un lieu public. Je vous dirais bien d’éviter les amalgames, et tout ça et tout ça, mais je crois qu’on n’en peut plus d’entendre tout ça et tout ça. Et je crois que de toute façon, malgré nous peut-être, ces amalgames, on les fait quand même. Alors je vais simplement vous dire : s’il vous plaît, pour le bien-être général, arrêtez d’oublier vos affaires dans le métro.


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On ne les voit pas, ces gens qui marchent dans la brume du quotidien. L’individu n’existe plus quand il avance dans le brouillard d’un métro, d’un bus ou au milieu de la masse morose de la foule. Là, tout le monde ressemble à tout le monde et personne ne parle à personne. Dans les matins tristes de la semaine, il y a certainement Sophie, en route vers son stage d’avocate ou de retour de son job à l’ONU.

Tu la vois sourire, comme ça pour rien. Comme si elle était optimiste ou juste bête. Tu te dis ça, mais en fait elle sourit parce qu’elle croit en tous ces gens qui l’entourent. Ou elle aimerait y croire : ce texte en est la preuve. Sophie doit se dire, le soir en s’endormant, que l’humanité c’est pas mal, Sophie écoute FAUVE et Damien Saez pour être un peu cynique quand même, Sophie est parfois mélancolique, mais seulement dans ses textes. Sophie est drôle, aussi dans ses textes. Sophie te propose d’aller boire une bière mais commande un jus d’abricot.

En fait, tout le monde devrait aller boire un jus d’abricot avec Sophie.