« Y a-t-il un moment où le présent est si agréable que l’on sait tout de suite qu’il deviendra un passé que l’on cherchera à revivre? » C’est la question que je me suis posée en montant les marches qui menaient au rooftop du Flon sur lequel avait lieu la fête d’anniversaire de Blick suisse romande.

Parce qu’il faut bien l’admettre: depuis la soirée chez Fred Valet, aucun récit mondain n’a fait le poids. Même si tous les ingrédients étaient réunis pour une bonne soirée: trop de journalistes, trop d’artistes, trop d’alcool et pas assez à manger.

À peine arrivé en haut des escaliers, que j’ai déjà perdu Jérémy Seydoux, croisé sur le chemin (« C’est sympâ Lausanne, très popu comme ça »). Il a vu Micheline Calmy-Rey: je ne peux pas rivaliser.
Heureusement, Natalie n’a pas cédé aux sirènes fédérales. Je sens dans son regard que – tout comme moi – elle cherche le bar.

Il y a quelques années, j’aurais compartimenté et préféré aller picoler qu’avec les potes; aujourd’hui, Natalie est aussi l’une de mes potes. Mon gars sûr pour médire et trinquer. C’est la femme et le pote de ma vie: au fond, c’est elle le présent que je cherche perpétuellement à revivre.

1er verre
Un Hugo pas dingue mais gratuit. Donc toujours plus appréciable que les Hugo pas dingues mais à 15 balles qu’on nous sert dans les bars du Flon le reste du temps.
L’équipe de Blick est là. Au bar, Grégory Beaud, me confirme que cet article ne sera certainement pas aussi bon que celui chez Fred Valet. Grégory ajoute qu’après son premier (et donc meilleur) album, Jeff Buckley s’est suicidé.

Voilà.

Les fans de hockey ont toujours été très fins. Peut-être parce qu’il est plus difficile de mettre les pieds dans le plat avec des patins.
Pour ce qui est de la rigueur journalistique, on repassera:

Aujourd’hui encore, les circonstances de la mort de Buckley n’ont pas clairement été cernées. (…) La thèse de l’accident est privilégiée (…).

La page de wikipÉdia de Jeff Buckley

N’empêche que Grégory Beaud a raison: Je ne vais plus me coucher sans mettre de la crème « contour des yeux » (qui ne fait qu’hydrater mes cernes); Je fume une cigarette électronique; J’ai deux troisièmes piliers et envie que l’on instaure des wagons silence dans tous les trains et les bus.
Je deviens vieux (con?): ce n’est plus ce que c’était.

2ème verre
Du rosé. Et vite. Si l’alcool en général est mauvais pour la santé, le verre de rosé est certainement ce qui se rapproche le plus du concept de suicide.

Natalie et moi faisons un tour, ne sachant pas à qui aller parler. C’est toujours le risque avec ce genre d’événements: un mauvais choix et vous êtes coincé pendant 15 minutes avec quelqu’un qui n’est pas très intéressant, alors que vous entendez, tout autour de vous, des conversations plus importantes que « quand même, cette variole du singe… »

Quentin Mouron vient nous demander où sont les accras de morue, nous expliquant que c’est ce que dit Bernard Werber à chaque salon du livre.
Quentin Mouron est très content d’être ici. Il faut dire qu’à l’époque des influenceurs, être invité en tant qu’écrivain épuisé en librairie (et épuisant en soirée) tient du miracle. (Cet homme a trop d’énergie).

Il y a quand même des influenceurs et influenceuses: Smartphone dans la main, sacoche et faille narcissique en bandoulière, ou tout autre accessoire/vêtement que le commun des mortels ne pourrait pas assumer. L’outfit est calculé à défaut d’être pratique ou même utile. Métaphorique de la profession? Cette pensée vous appartient, je ne fais que tendre les perches.

Bref, après les morues de Werber, pas le temps de découvrir d’autres ragots littéraires (la matière des chaussettes de Joël Dicker, l’épaisseur de la couche de tartre de Michel Houellebecq): il est déjà l’heure de la partie officielle.

3ème verre
Toujours du rosé, discours oblige. Michel Jeanneret prend la parole. Dans les grandes lignes, ça donne quelque chose du genre de « C’est super de vous voir ici, bravo à toutes les équipes, merci à Zurich de ne pas nous avoir viré pour le moment. » Ajoutons encore le récit du lancement de Blick (qui a d’ailleurs jusqu’au bout failli s’appeler Blique, lol. C’est quand même fou comme les sessions brainstorming peuvent maintenir en vie des idées nazes pendant longtemps.)

Bref: simple, efficace, tout le monde pensait pouvoir reprendre ses conversations. Mais les événement organisés par les médias sont visiblement comme les petits cafés du coin « avec des illustratrices qui ont fait les tableaux et des vases qu’on a chiné »: il y a toujours une table ronde.

David Lemos, Nathalie Pignard-Cheynel, Michel Jeanneret, Micheline Calmy-Rey et Marc Walder allaient donc reproduire, sous nos yeux, le sempiternel débat de l’avenir de la presse « dans un monde qui change et se digitalise. »
Rapidement, le terme de metaverse est prononcé. Les NFT allaient suivre: il fallait agir vite…

4ème et 5ème verres
Deux d’un coup, toujours du rosé, web32.0 oblige.
Le débat a commencé par vingt minutes durant lesquelles Michel Jeanneret a posé des questions à Marc Walder pour que ce dernier puisse caser ce qu’il avait prévu de dire. Ceux qui organisent la discussion se parlent à eux-mêmes pendant que les invités écoutent: on se serait cru dans un podcast. Michel Jeanneret, le Miroslav Stevanović de la presse romande: passeur décisif.

À propos de foot, David Lemos a quand même pu en placer une, se lançant dans une comparaison osée entre les sportifs et les politiciens: sortie de balle risquée mais finalement efficace. Bon, il faut dire que depuis Suisse-France, je mets notre commentateur national sur le même piédestal que Mario Gavranović (je suis sûr que sans ses cris de joie sur le 3-3, la France aurait gagné les penaltys).

Micheline Calmy-Rey (assez marrante car plus rien à foutre de ce qu’on pensera de ses propos ou de sa veste Playboy) a raconté la fois où le Blick s’était intéressé à ses nouvelles lunettes, plutôt qu’à ses idées. Et c’est vrai que c’était injuste de se focaliser sur ses lunettes: à l’époque il y avait tellement plus à dire sur sa coupe de cheveux.

Pour la suite, si les conclusions de cette table ronde vous intéressent, elles sont disponibles ici. Du côté de Natalie et moi, l’attention absolue que nous portions à ce débat crucial a été détournée par la présence d’Antoine Droux que nous n’avions jamais rencontré et que nous voulions absolument remercier pour sa voix rassurante du matin, dans Médialogues (quand on a une skincare routine de couple, évidemment qu’on écoute La Première). Sans parler des excellentes revues de presse de Valérie, son épouse…
Bref, nous devions aller faire les groupies.

7ème verre
Une fois la table ronde finie, Natalie et moi avons pris notre courage à deux main et du champagne dans les deux autres et sommes allés voir Antoine Droux (enfin c’était du Prosecco, mais si l’on ne peut pas romancer sa vie, que nous reste-t-il?)

La musique couvre la voix d’Antoine Droux. À défaut de pouvoir pleinement boire ses paroles, je descends ma coupe de champagne trop vite. Problème: les plateaux de petits fours salés sont trop loin. À distance de bras, il n’y a que des légumes à tremper dans une sauce qui finira invariablement sur ma chemise. J’abandonne. Nouvelle coupe de champagne.

Avant de vouloir revivre le présent, il faudrait déjà pouvoir s’en rappeler.

9ème verre
Au loin, les rires de Jérémy Seydoux, Fathi Derder et Nicolas Capt claquent contre le torse apparent d’Alexis Favre. Je ne sais pas si c’est les coupes de champagne ou mon imagination mais ils feraient un super boys band de PLR genevois. Quentin Mouron, malgré le titre de son dernier bouquin (Pourquoi je suis communiste), se joint à la bande.
Passé une certaine heure, rigoler avec des mecs de droite c’est un truc de rebelles de gauche. Moi-même je me retrouve à causer PPE avec Jean-Luc Duvoisin, c’est vous dire. Pour compenser, je suis allé discuter avec des Vert.e.s vaudois.

Après avoir écrit pour watson, je festoie chez Blick: il faut bien que je me rassure sur le peu de convictions qu’il me reste.

Les verres d’après
Ensuite, j’ai parlé livres avec Marc Volten Nicolas Feuz, bu du rouge, peu articulé avec Thomas Wiesel, suis repassé au blanc, Antoine Hürlimann m’a dit ce que je pouvais écrire ou non ici (du moins quelles saloperies je ne devais pas lui attribuer), ai reçu un rhum(?) coca, ai appris ce que c’était de porter un format (littéralement) à bout de bras grâce à Margot Delévaux. J’ai même trouvé une influenceuse fribourgeoise très sympa, c’est vous dire.

Aucun accroc, ni élément narratif digne de transformer cette conclusion en autre chose que du name-dropping aussi long (au ressenti) qu’une table ronde sur l’avenir de la presse.
Juste l’impression d’être du bon côté du complot médiatico-politique avancé par celles et ceux qui n’ont pas cru au Covid. D’ailleurs, si vous êtes dans ce cas, je vais être obligé de vous décevoir: le seul projet (pas si secret) c’est de boire des verres.
Ça ne fait pas gouverner le monde, mais ça donne des soirées sympas.

Quant à vouloir revivre ce genre de passé, on va quand même attendre d’avoir moins la gueule de bois.


PS: Si vous voulez le récit d’une soirée épique chez Fred Valet, c’est par ici.