Le Post de 9h20

de Benjamin Décosterd, (initialement) pour se lever à 8h20

Le sujet-dont-on-n’a-plus-besoin-de-prononcer-le-nom

À défaut de ne pas en parler, essayons au moins de ne pas le mentionner, ça nous fera deux minutes de pause.

Cette fin de semaine commence à ressembler aux 15 premières secondes d’un casting pour un rôle féminin avec Harvey Weinstein : en apparence, tout est normal mais on sent bien qu’il y a quelque chose qui va déconner.
Je suis réveillé depuis 6h ; c’est la preuve que ça ne tourne pas rond.

L’actualité est passée des médias à nos corps. Doucement, elle est entrée sur nos listes de courses et s’est imposée dans nos discussions. Maintenant elle commence à nouer nos gorges.
Moi qui trouvais que le monde médiatique rebraquait trop rapidement ses projecteurs, je découvre que le martèlement ne me convient pas non plus. Le sujet est omniprésent, comme la Fête des Vignerons en son temps. L’annonce du déficit arrive juste un peu plus vite.

Dans un monde de zapping virtuel, rester bloqué sur la même chaîne finit par être flippant. Et là, en plus, la chaîne ressemble à BFM TV. Partout. À la machine à café, autour d’une bière, avant le sport, sur les réseaux… Sur mon Facebook, les perpétuels indignés (contre l’Etat, les étrangers mais aussi les racistes et la cohérence, visiblement) sont passés d’une indignation due à un excès de zèle à une indignation due aux écoles encore ouvertes. Les indignés de mes réseaux n’ont pas d’enfant, je crois.
Encore plus symptomatique de l’ampleur de la situation, les humoristes sont passés des blagues aux messages de prévention.

Je sens bien qu’il faudrait parler d’autre chose. Mais « autre chose » est annulé. Et « autre chose avec plus de 300 personnes » risque bien de l’être aussi, dès cet après-midi. Pourtant, les gens ont besoin de ces autres choses. La preuve, avec les articles plus lus du site de 24 Heures. (Pour une fois qu’un titre genre « LE 5 VA VOUS ÉTONNER » n’est pas usurpé) :

Et même quand on parle vraiment d’autre chose, on ne peut pas s’empêcher d’y penser :

Donc bon, quelques réjouissances de niche et autocentrées :
Depuis que Netflix produit de la télé-réalité (Love is Blind), j’ai commencé à en regarder. Avec le même argument con que tous mes proches qui le faisaient. « Non mais c’est juste pour voir comment c’est con, hein. » Argument qui marche aussi si vous suivez des infleunceures/euses, comme Agathe Auproux, sur Instagram.
C’est bien la preuve que le jour où Netflix se met un produire un programme qui rassemble tout ce que je ne supporte pas, je le regarderai quand même. Et vous m’entendrez dire qu’il faut absolument voir la saison 2 de « Si j’aurais voter UDC : raifort, mon nez de profil et les gens qui marchent lentement. Mike Horn. »

Autre motif de réjouissance : je vais pouvoir tester ma cocotte Le Creuset avec un ragoût, tout en écoutant un podcast de France Culture.

En fait, je crois que je commence à comprendre pourquoi je flippe un peu : si je regarde mon mode de vie, je suis dans la tranche d’âge des personnes à risque.
Je me suis réveillé à 6h ; je vous avais bien dit que quelque chose ne tournait pas rond.

120 Minutes – 7 mars

L’histoire du cyclisme, écrite par bibi, mise en image par Noé Ciompi et racontée par Vincent Kucholl.

Le brouhaha silencieux

Depuis vendredi dernier, c’est le désordre.

Mes fils d’actualités s’emmêlent comme des écouteurs dans une poche (cette métaphore est so pré-AirPods). À force de lire tout et son contraire, on ne sait plus si on doit sauver les artistes menacés par le Coronavirus ou s’il faut lyncher le monde du cinéma. Bon, vu les pratiques sexuelles des réalisateurs, ça pourrait leur plaire, remarque.

J’écris parce que hier j’ai vu passer ça :

Oui, la « détresse existentielle ». Sur ce coup, l’industrie musicale me fait penser à ma grand-maman valaisanne :

« – Tu veux ma mort, c’est ça ?
– Non, grand-maman. Je ne peux juste physiquement pas manger une autre part de ton délicieux gâteau.
– Tu ne m’aimes plus, de toute façon. »

Alors attention, soyons d’accord, c’est chaud. Le Coronavirus serait arrivé avant la Revue de Lausanne que vous auriez déjà entendu parler de ma « perdition finale » ou de mon « désarroi ontologique ». Moi-même indépendant, je suis conscient de cette précarité.
Mais c’est bien parce qu’elle est permanente que je m’étonne de lire certaines choses, notamment dans la pétition pour « la création d’un fonds d’indemnisation pour les intermittent/es du spectacle en Suisse » : « Pas de prestation = pas de salaire! »

Oui. Et ?

C’est la nature même de notre statut. Notre quotidien consiste à nous sortir seuls de cette logique stressante. On l’a choisie, ou du moins tolérée, me semble-t-il. Que l’on soit ingénieuse du son, danseur, ou auteur/chroniqueur/connard dans la comm’.

Les mesures du Conseil Fédéral peuvent paraître de prime abord extrêmes, ou risibles. Si l’on écoute les médecins et que l’on regarde les chiffres, cela devient tout de suite plus pertinent (allez vraiment lire cet article, c’est salutaire en cette période de doute). Si l’on ne fait rien, ce sera visiblement encore plus chaud. Et les intermittent/es du spectacle ne pourront même plus travailler dans des salles de plus de 1 personne. Chanter sous la douche sera encore juste toléré, c’est dire. À condition qu’il y ait du savon.

Il faut le dire aussi, la communication de nos élus est assez mauvaise. J’en veux pour preuve l’intervention de Philippe Leuba mercredi au 19h30. Après deux heures de séance du Conseil d’Etat avec le médecin cantonal, Leuba se lance dans des explications.

Quand quelqu’un explique ce que quelqu’un a expliqué, c’est jamais simple… Mais là, c’est carrément le téléphone arabe, mais avec un abonnement Sunrise.
Et les pannes de Swisscom.
Et tu captes Bouygues parce que Salt prend Ouchy pour la France.
Nonobstant.

Quand on écoute Leuba hier, on comprend tous les mots, mais pas les phrases. On devrait utiliser cette interview en prévention des AVC, pas du Coronavirus.

Voilà, j’ai ajouté mon petit couinement narcissique sur l’actualité.
Ça a moins de gueule et de conviction qu’une tribune sur les Césars dans Libération. Ou qu’une réponse dans Marianne, suite à la tribune sur les Césars dans Libération. Ou qu’une chronique sur Europe 1, pour commenter la tribune sur les Césars dans Libération et appuyer la réponse dans Marianne.

Mais au fond, le grand brouhaha silencieux des réseaux est peut-être salutaire, si l’on fait l’effort de ne pas que lire ce avec quoi l’on est d’accord. Comme pour développer les anticorps de notre sens critique.
Sinon, il risque – au bout d’un moment – d’y avoir une contradiction trop forte entre notre monde inclusif et nos opinions binaires.

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