Jeudi soir, gare de Morges. Il est 22h25 et deux litres de bières.

J’attendais impatiemment sur le quai et contre une envie de pisser qui grandissait au fur et à mesure que le train était annoncé avec de plus en plus de retard.

3 minutes.

Puis 4.

Finalement 5.

“Information concernant votre vessie et le Regio Express, à destination de Bussigny-Renens-Lausanne-avec un arrêt aussi relou qu’inutile à Prilly Malley. Le Regio Express arrivera avec un retard d’environ juste assez de minutes pour que vous n’osiez pas aller aux toilettes publiques de la gare. Ce train circule avec une composition réduite. Peut-être que le wagon avec les toilettes a été supprimé ; tu verras bien, espèce d’alcoolique du jeudi.”

Pendant cette attente, qui me paraissait aussi longue qu’une fête de la bière sans urinoir, je tentais de distraire ma vessie qui trépignait du pied droit. Et ce, en me refaisant – pour la 32ème fois – la meilleure web-série du monde, avec IRQB : j’ai nommé les textapes d’Alice.
Inspirée d’un Tumblr, cette saga de deux saisons de punchlines est tellement bien écrite qu’on dirait de la calligraphie. Je crois d’ailleurs que c’est à cause des Textapes d’Alice que ce blog est hébergé sur Tumblr. Oui, je suis comme ce gamin qui achète les mêmes chaussures de Messi en espérant que son pied gauche devienne aussi agile que sa main droite. Alors qu’on sait tous que certaines choses que l’on fait avec la main droite sont infaisables avec le pied gauche.

Donc j’étais sur le quai, en train de regarder mon smartphone, quand une masse brun clair, gigotant sur la droite de mon écran, attira mon attention. C’était un chien, visiblement très content de se retrouver sur le quai de la gare de Morges un jeudi à 22h27. Alors que – en toute objectivité – il n’y avait pas beaucoup de raisons de remuer la queue à ce moment-là. En tout cas ni moi, ni ma queue, n’en voyions.

J’ai oublié le chien et je me suis replongé dans la solitude de mon téléphone, très agréable, parce que quand on a envie de pisser on n’a pas tellement envie de parler.

Donc, j’étais encore sur le quai, toujours en train de regarder mon smartphone, quand des voix (pas brun clair cette fois), provenant de la droite de mon écran, attirèrent mon attention.
C’était un monsieur, vraisemblablement très content de se retrouver assis à côté de la dame au chien, pour lui expliquer que “moi aussi, j’ai un chien. Elles sont quand même sympas ces braves bêtes, blablabla croquettes, blablabla #porndog sur Instagram, blablabla Medor, etc.”

Tous ceux d’entre vous qui m’ont entendu parler de mon chat doivent – en ce moment même – se dire que je suis l’hôpital qui se fout de la charité, alors que pas du tout. Je trouve génial de parler animaux. Mais les chiens… Soyons sérieux deux lignes, ce sont des bêtes aussi dépendantes que des toxicomanes et aussi naïves que des hypocondriaques sur Doctissimo. Et si personne n’a jamais essayé de croiser un toxicomane avec un hypocondriaque de Doctissimo, c’est qu’il y a bien une raison.

Trêve de justification, ces deux discutaient de chiens et avaient l’air de bien accrocher. Je ne sais pas si c’est la bière, ou la mélancolie propre aux quais de gare (on s’y dit souvent au revoir quand même), mais j’ai trouvé ça beau. Je me suis dit que j’étais peut-être en train d’assister à la création d’un couple, tel le témoin d’un Big Bang sentimental.

Peut-être que dans 20 minutes, une fois arrivés à Lausanne, ils échangeraient leur numéros.

Peut-être que dans 20 jours, ils feraient l’amour.

Dans 20 semaines, ils s’aimeraient.

20 mois plus tard, ils seraient parents.

Et 20 ans après, ils prendraient d’autres chiens pour oublier que le petit Thomas et la petite Julie étaient partis de la maison.

Dans 20 décennies, ils seront morts et personne ne se souviendra d’eux. Mais moi, j’aurai vu leur rencontre. J’aurai assisté à ce moment magique où les humains se mettent maladroitement à créer leur destin.

Ou pas. Je ne le saurai jamais, je me suis précipité dans le train pour aller pisser.

Mais c’était beau d’y croire un peu ou un instant. Et il n’y a pas à dire, la gare de Morges, après quelques bières, a un petit air de Venise.