Jean-Paul Dubois a gagné le prix Goncourt. Amélie Nothomb finira-t-elle par le gagner un jour ? La littérature en Suisse romande est-elle passionnante ? Faut-il être un obsédé pour enseigner le français au gymnase ?
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La presse ne nous l’apprenait PAS lundi : l’armée suisse est un gouffre à fric monumental. Si l’on savait déjà que 5 milliards pour défendre notre pays c’était beaucoup, on ignorait qu’une partie de cet argent était utilisé pour attaquer Crans-Montana en hélicoptère et y faire des initiations au golf.
En résumé :
- Chaque deux ans, les épouses des hauts gradés peuvent les rejoindre après un immense « séminaire » annuel (c’est le therme tactique pour dire « cuite »).
- L’an dernier, c’est un Super Puma qui a fait des trajets à travers le pays (depuis Dübendorf, Emmen, Berne, Payerne et Lausanne) pour amener ces dames à la montagne. Problème, cet hélicoptère coûte 10’900 francs de l’heure : on peut effectivement parler de vol, sans que ce terme soit usurpé.
Les participantes ont payé 100.- pour tout le week-end (nuit + repas + cours de golf + visite du lac St-Léonard compris pour un total de 7’007.-, largement supérieur aux 100.- par personne). - Et comme dans toute enquête journalistique qui se respecte en Suisse romande depuis quelques mois, il y a la question des frais de bouche.
En 2014, les 22 participants au séminaire – à Elm (Glaris), cette fois – ont picolé pour 1’735.-. 24 Heures a fait le calcul : on arrive en moyenne à un solide 1,4 pour 1’000 si chaque participant fait 90 kilos (ils ont bien estimé, c’est vrai qu’entre hommes, on devient vite lourds). C’est l’épisode dit de « l’orgie à l’Appenzeller » qui doit pas être si loin des top recherches Youporn à Uri. - Du côté de la Confédération, on a visé la facture, mais on a quand même changé le règlement depuis. Par exemple, on ne peut plus inviter ses partenaires gratos.
A part qu’aucun politicien genevois n’est cité dans cette histoire, rien de vraiment surprenant : tout le monde sait qu’on boit à l’armée. Tout le monde sait aussi que si tu te retrouves à Elm pour une soirée c’est parce que tu es soit bourré, soit militaire, soit les deux.
On en arrive à se poser tout de même quatre questions et un problème de maths :
- Des gens vivent encore à Payerne ?
- Pour ces gens-là, la visite du lac St-Léonard est-elle une activité fun ou juste un moment où l’on a une plus belle vue ?
- L’initiation au golf a-t-elle été faite en vue d’une attaque des pays éponymes ?
- L’Appenzeller, vraiment ? J’avais de la peine à comprendre ce qui sort de la bouche des Suisses-Allemands, là j’ai encore plus de peine à comprendre ce qui y rentre.
- Vous devez parler à Guillaume Barazzone, est-il plus avantageux de lui téléphoner et qu’il vous facture l’appel OU de payer un Super Puma depuis Emmen jusqu’à Genève, sachant qu’il peut voler à 257 km/h mais seulement aux heures de bureau ?
Que cette affaire ne vous donne pas envie de faire l’armée. Le budget nourriture n’est pas celui annoncé dans les médias. Et le truc le plus chouette que j’y ai fait, c’est rendre mon matériel.
C’est bien simple, depuis mon école de recrue, je considère l’armée comme une sorte d’atelier protégé géant, maintenu uniquement pour faire plaisir à quelques professionnels surpayés qui seraient trop fragiles pour accepter l’idée que leur pays n’ait pas besoin de se préparer à une guéguerre et que leur boulot ne serve strictement à rien.
Déjà, qui voudrait envahir un pays pour ensuite devoir supporter des Suisses-Allemands, ou encore pire, des Valaisans ?
Et puis, les envahisseurs n’ont qu’à se balader sur le site de la Confédération pour savoir à quoi s’attendre au niveau de l’équipement des forces terrestres et aériennes. Alors oui, sur le papier, « 369 Chars de grenadiers M 113 » (dont 58 immobilisés depuis 3 ans) ça intimide.
Mais, chers envahisseurs, dites-vous qu’à l’intérieur il y a des types cons comme des grenadiers et autour des types aussi incompétents pour l’affrontement armé que moi. Rien qu’à mon corps, on voit que j’ai fait la guerre. Bon, c’était contre les abdos mous, mais je n’ai pas encore totalement perdu.
L’armée, c’est surtout combattre l’ennui. Assez rapidement, ceux qui ont embarqué un livre comme arme se sentent en infériorité numérique, bien qu’en supériorité de curiosité intellectuelle. Ajoutez à cela l’absence de femmes et vous entendrez de la bouche de vos camarades des phrases (véridiques) du genre : « Je vais quand même appeler branle-nouille » pour signifier le désir d’un entretien téléphonique avec sa dulcinée.
Alors oui, l’armée est une « école de la vie »… Comme il y en a tant d’autres. Déjà, une école où l’on utilise des fusils d’assaut, je me méfie : il n’y a qu’à voir ce que ça donne aux Etats-Unis mais en plus efficace (Après la fusillade de la semaine dernière, est-ce trop tôt pour écrire ça ? Faut-il attendre autant de jours qu’il y a eu de morts ?).
Alors que Guy Parmelin – comme un enfant unique mal élevé – alterne les pleurs et les menaces lorsqu’il s’agit du budget de l’armée, cette affaire nous fait peut-être dire qu’il y a des moyens d’optimiser un peu. Rien qu’en apprenant que la soirée annuelle du rapport de l’armée a coûté 580’000 francs pour 4’014 collaborateurs, en 2015.
Tout ceci est relativement rassurant pour les incompétents de la guerre comme moi. La plume des journalistes sera peut-être plus forte que la baïonnette des militaires. Cela dit, il n’y a pas non plus de quoi fanfaronner : c’est l’armée suisse en face et manier une arme quand on a 1.4 pour 1’000, c’est difficile.
J’ai bien conscience d’arriver comme le cheveu sur la soupe tiède au buzz estival, préparée par l’absence de nouvelles croustillantes et fadement épicée par les médias romands.
Mais si, en France, on peut s’exaspérer des remous médiatiques de l’affaire Benalla (cet homme n’aura bientôt plus d’autre prénom que l’affaire), ici, on doit se contenter de l’addition de Jean-Marc Richard. Postée sur Facebook, la photo a été reprise vendredi par le matin.ch (nouveau média ambitieux) et le Nouvelliste ce matin :
« Si on le touche, on peut appeler ça un article de fond ? »
En cause dans cet article, un ticket du Chetzeron, établissement planté sur la montagne, à 2112 mètres d’altitude.
Alors arrêtons-nous deux secondes sur ce ticket. Que nous dit-il ?
Et bien, à part que les hôtels 4 étoiles peuvent être chers en Suisse, pas grand chose. Parce que tout est cher. Venez prendre une cuite au Spritz à Lausanne et vous verrez : c’est aussi mauvais pour le foie que pour le rein qu’on doit vendre.
Et les 4 étoiles sont certainement encore plus chers quand ils sont plantés au milieu de nulle part : il faut bien faire monter la marchandise là-haut (pour la pause de petites gens qui se baladent à Crans-Montana) et ça coûte une blinde.
On peut aussi le faire soi-même, mais c’est chiant. Ben oui, sinon Jean-Marc Richard aurait pris une bouteille d’eau, une cafetière italienne, du café moulu, un réchaud et deux tasses dans son sac. Au lieu de ça, il a pris son porte-monnaie et une photo pour Facebook. C’est plus léger mais c’est certainement le prix à payer.
On parle de Jean-Marc Richard et il y a une dimension émotionnelle qui rentre en ligne de compte. On le voit s’occuper des gens dans le besoin toute l’année (besoin de parler, le soir dans la ligne de cœur / besoin d’argent, suite à des catastrophes dans la chaîne du bonheur / besoin de s’occuper, dans le kiosque à musiques), alors forcément on l’assimile à la cause. Ce n’est d’ailleurs pas la seule personnalité à qui ça arrive :
- Philippe Jeanneret est associé à la météo, on croit que c’est lui qui décide du temps qu’il fait
- Darius Rochebin, on sent bien qu’il faut le pardonner de quelque chose, mais on ne sait pas encore quoi
- Et Bastian Baker, c’est la Poste, forcément
Dans ce cas précis, j’ai l’impression qu’on en fait des caisses parce que l’on assimile Jean-Marc Richard aux gens dans le besoin. Aurait-on fait le même foin si Bernard Nicod avait posté cette photo ? Je ne pense pas.
Alors que Jean-Marc Richard doit aussi très bien gagner sa vie, mais ce n’est pas un problème. Il n’est pas spécialement incohérent, même s’il aurait pu préciser que l’établissement était assez classe.
Non, ce qui serait incohérent c’est d’être un chroniqueur qui a passé 10 ans à « dégommer les financiers véreux, les banquiers magouilleurs et les profiteurs de tout poil » avec un gourdin en plastique et de bosser pour une banque, non ? D’ailleurs, si la voix d’Eric Grosjean vous manque sur Couleur 3, vous pouvez appeler le standard de la BCV au 0844 228 228 : c’est lui qui fait le répondeur. Le ton est un peu moins punk, mais ça dénonce la finance à mort.
Finalement, que retenir de « l’affaire Richard » ? Peut-être simplement qu’il suffit de 2’200 likes et 3’000 partages sur un post Facebook pour que le rédacteur en chef du matin.ch (média 4.0) y consacre un article.
Etait-ce parce que le sujet était vraiment important ? Etait-ce par solidarité capillaire avec Jean-Marc Richard ? Etait-ce parce que le rédacteur en chef n’est plus rédacteur que de lui-même ? Mystère. Quoiqu’il en soit, il s’agit de Laurent Siebenmann, qui a travaillé à Rouge FM avec des amis, et dont on m’a dit le plus grand… Enfin, dont on m’a parlé, quoi.
De son côté, Le Nouvelliste a fait un vrai travail journalistique : comparaison de différents établissements d’altitude, interviews des intéressés et acteurs de la branche, mise en perspective, etc. On y apprend que l’hôtel n’est pas raccordé au réseau de distribution, ce qui explique qu’on ne serve pas d’eau « du robinet », mais d’une source proche de l’hôtel.
Cette analyse est plus réjouissante pour l’avenir de la presse que d’expliquer qu’il y a eu un buzz, en citant les deux derniers posts Facebook de Jean-Marc Richard… Laurent, si tu nous lis.
Bref, cela nous rappelle que l’actualité et les élus PLR sont en vacances ; on attend juste qu’ils rentrent pour se demander qui a payé et avoir une vraie polémique à se mettre sous la dent.